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FERNAND BENOIT
(frm,de )
Chevaux du Levant Ibérique. Celtis.me ou
l''\éditerranéis.me?
La découverte ou Cigarrolejo (l). près de Murcio, d'un sanctuaire comprenan t plus d'une centoine de petits "ex-vo to" représentan t des chevaux, nus ou hornachés, parfois accompagnés d'un
poulain, pose le double prablèm~ de la recherche du prototype et
de leur destination religieuse. Nous ne prétendons pas dons cette
cour te note, présen ter d'affi rma tion définitive sur la signif ication
relig ieuse de " o ffrande d'équ idè::, qui est polyvalente, comme tou tes les ofrandes, et se reli e au plus ancien fo lklore indo-européen;
mois seulement mettre en garde contre le danger de réduire le
champ de compa raison à l'aire présumée celtique et attirer ,'attention sur l' histoi re e t l'évol u tion d'une figure.
Les découvertes ibériques de s tatue ttes d'équidés et de s tèles
du dompteur de c;heyoux proviennent en eff et des contrées médite rranéennes, situées hors de la Cel t ibérie et en relations étroites
ovec la Gronde Grèce et Rome, et sont datées de la fin de l'époque
républicaine, ce qui infirme radicalement, dans le temps et dans
l'espace, l'hypothèse imprudemment alléguée d'une influence cel-
f') E. CUADRADO DIAZ; "beavo(Îan~ en el '>ontuorio lbérico deI Cioorroleio {Muta_Murdo)", Informes V Memocios de la Comjsorio Generol de beovoc;ones Arqueol6gico~, num. 11; Madrid, 1950.
_2 11 _
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F . rŒNO IT
tique, à propos des chevaux du Cigorra lejo (2). Au moi ns, la com·
paraison avec les équ idés d'Assche- Kolkoven, en Brabant, que j'ai
s ignalée en 1949 à M. Cuodrado Diaz, sans prevoir les déduc tions
qui en seraient tirées, Qura- t -eHe eu l'avantage de foire dresser
l'inven ta ire de figurines analogues trouvées dans les fovissae de
sanctuaires belges (3) .
Ce n'est pas vers les pays hyperboréens qu'il fout se tourner,
mais vers la Gronde Grèce, pour tenter de rechercher des points
de comparaison, à la fois plastiques et religieux (4) , Les sépultu res et les riches dépôts des sanctuaires de la Lucanie, de l'Apulie,
de la Daunie, du Brutt ium, de la Campanie, nous on t foit connaître
un grand nombre de figurines d'équi dés, en terre-cuite, d'époqlJC
grecque et romai ne, représentan t des chevaux nus ou bridés, portan t porfois en croupe un enfant nu (pl. l, 1) ou 'a figure sym boli que d' Horus-Harpocrate. La ressemblance des chevaux du dépôt des
COVQlucci à Medmo (Rosarno) (5) (pl. l, 4), colonie de Lacres, de
Lucer io (6). de Colès (Calvi) (7) (pl. 1,2), d'Ariès (provenan t d'une
tombe) (pl. l, 3). avec ceux du Cigorrolejo, en pierre, es t d'autant
pl us frapponte que ,'an imal es t t roité sons gronde finesse, l'en t redeux jambes non a jouré, moi s plein .
Ces sanc tuaires son t en relation avec le cu lte de Déméter e l
de Perséphone, qui est dominant à l'époque hell énist ique dons l'I ta lie du sud, à Lacres, à Tarente, à Lucerio; l'offrande du cheva l y
est souvent associée à celle du porc (Luceria, Calès), l'offrande par
excellence de 1 lus tration e t l'animal consacré à Déméter (8) . Le
0
problème de la destination de ces figurines est loin d'êt re résolu, en
(2) S. J . DE LAET : "Surv;vQnces du culte d'EpI)na dons le folk IOle bf(lbon _
ÇQn" , LQlomuS, X, 1951, p. 178; cf. IQ cr; lique de M. RENARD: Ibid. p. 186.
num. 2.
(3) J. MERTENS: "Terres-cui les de l'êpoque ran'Qine trQuvées 0 Elewiil
(Brooo nt)", LO lamus, X, 1951, P . 111 et pl. IX el X.
(4) Ainsi que l'a mis pour la premi~re fois en lumière A. GARCIA BELLI _
DO: "Contactas '1 relociones en tre la Magna GreciQ '1 1Q Pen;n~lo lbérico, segu n
la Arqueologio '1 los lex los clasicos" , Madrid, 1935.
(S) P. ORSI: "Lacri", Nalizie degU Scovi, XIV, 1911 , p. 64. LI!$ hypo_
lhêses de l'aultur sur la signif ication de ces "elC-voto", soi l-di50S0n t en rappor t
OVe(; les Dioscures de Locres, 50nl infirmees par les dêmons trolions de S. FERRI,
daru "Bolletino d'Arte", 1921, p . 113, et "DivinilO ignole", 1929, p. 93.
(61 R. BA RTOCCI NI : "Arle e religi one neUo stipe votiva di Lucero", dons
Japig ia, Rivis lo pugliese di Archeologio, Slorio e Arle, X I, 1940, fig . 5.
n) COlleclion du Marquis de Salamanque, ou Musée Archeologique National de Madrid .
(8) P. AMANDRY: "Eschyle e t la purifiCalian d'Oreste", Revue Archéolo_
gique, XI, 1938, p. 23.
_ 212_
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CHEVA UX DU LEVA NT I13E1HQUE
raison de leur polyvalence: les mêmes s tatuettes se trouven t dons
les tombes et dans les temples, ainsi que l'ont noté Ch. Picard (9)
pour le monde grec, et pour le monde gallo-romain E. Linckenheld,
qui a constaté la fr équence des statue ttes dans les sépultures ( 10) .
Mais, en outre, la vo leur funérai re d'un ex-voto n'es t pas exclusive·
'--- ------ -- --
-'
Fig. I.-lo "dompteuse de chcvoul<", de Plovdiy IB..,lj)Orie du Sud} .
IG.
n.)
ment attachée à la sépul ture, comme le suppo'ie un paralOg isme de S.
J. de Lae t ( 11). Nous nous con ten terons de no ter qu'en Gronde Grèce (12), comme en pays he llénique et en Goul e, des sta tue ttes de
chevaux on t é té trouvées dons les tombes, et que les foy issoe du
sanctuai re de Lacres, consacré ou culte de Perséphone, renfermaient
19) CH. PICARD: "Notes d'archéologie grecque", Reyue des Etudes anciennes, XXX II, 1930, p. 100, n. 2.
( 10) E. Ll NCKEN HELD: "Figurines en terre-cul III", Revue des Eludes anciennes, XXX I, 1929, p. 162 el 5.
Pli S. J. DE LAET: Op. cil . en note 2, p. 177, n. 2.
(12) Tombe des Crkhi ou Mmée de Colon
de bron
ques funèbres" , 1B12, p. 12 e l s.
_
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4
F. BENOIT
des tablettes de terre-cuite se rappor tant 6 la vie d'Ou t re-Tombe
e t ou jugemen t d'Hadès (13).
Tout aussi complexe est l'in t erprétation des stèles ibériques
associant deux ou plusieu rs chevaux à un personnage môle : représenté de face, debout dons les exemples les plus archaïques, il fait
un geste de protection vis-à-vis de deux équidés dressés su r leurs
pottes postérieures, les deux pattes an té rieures ployées devan t le
dompteur de chevaux (stèles de Sogunto ou Musée de Valencia, de
Fig. Z.-Le "maître des ,hevaux" sur une fibule ooolienne du Musée du Louvre
(V i lle $.) (d'apres J . Ckorbonneaux, dons Préhistoire, l, 1932, fig. 1).
Villocarrillo, d'Alcay et avec variante de Villoricas ou Musée de
Barcelone); ou bien il est assis sur un escabeau, étendant ses deux
bras au dessus de deux groupes de chevaux superposés, figurés
dons leur pose normale. (Llano de la Consolaciôn ou Musée de
Murcia) (14).
Le second type, plus localisé, marque une évolution du premier, demeuré plus près de son origine orien tal e, e t se ropproche
de la représen tation d' Epono, entourée d'une cour de chevoux
La différence des deux images est frappan te; e t cette dissemblance a surpris P. Lombrechts, qui prétend naïvemen t opposer [0
fomiliorité de l'Epona, présumée d'origine cel tique, donnant à
manger oux chevoux, et le caractère farouche, tout asiatique, de
(13) Q. QUAGUATI: "Riliev; vot;vi oreoici in terra colfa di Locri Epizephy_
rioi", Ausonio, III, 1900, p. 136; P. ZANCANI MONTUORO: "La Perséphone
di Toronto", Soclet'" Magna Grecio, V, 1931, p. 167; elc .
. (14) le renvoie â mes é tudes an térieures: "La Epona de Alcay", dons Cfa,?'CO dei VI Congreso Arqueol6gico dei Sudeste Esponol (Alcoy, 1950), p. 211;
Les mythes de l'Dotre- Tombe. le Cavelier â l'Anguipède et l'écuyère Epono"
Bruxelles, Collection Lotomus, III, 1950, p. 40.
'
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5
CHt:VAUX DU LEVANT IBERIQU E
la potnio t hé,ôn (dompteuse de fauves) méditerranéenne, " maîtrisan t et étranglant (?) des lions, des panthéres et même des che vaux" ( 15) .
L'évolut ion ibérique d'un type à l'au tre s'est faite sur place et
1 transformo t ion de caractère de l'Artémis-Dione, molgré le pseu0
do-archaïsme du prototype, n'a rien qui doive nous étonner dans
Fig. 3._Antéfixe de terre cuite de Quaran te (1er. s. )
(M usée de Montpellier).
J'histoire des religions antiques, pas plus que le changement de
sexe de la potnÎo hippôn (dompteuse de chevaux) en son parèdre
dompteur de chevou x, dépaurvu d'ailes (fig 1 et 2) .
La figure d'Artémis potnio thé,ôn, saisissant par la potte d'eux
lions dressés à ses cô tés, n'était pas inconnue de la Bétique, ainsi
que le montre une a ntéfixe d'Itolica (1 6 ), ni de la Narbonnaise
(IS)
P. LAMBRECHTS: "Divinités êquestres ou défunts
~ro;sé"",
L'Ant i_
quité classique, XX, 1951, p. 123.
(16) A. LAUMON IER, dons "Revue d'Etudes anciennes", XXI II, 1921 , p.
273; publié por F. BENOIT: " La EpOnO de Alcay", p. 220, fig . 1. On (OI'I19Orero
l'ornemen t de bronze tl'Ol.lYé à Elche, repr~ntant deux fCMIVes offronlis: P. PA_
RIS: " Essai sur l' A, . et l' Industr ie de l'Espagne primllive", Poris, 1903, l, fig. 19.
_ 215 _
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F. IU:NQIT
(an té fix e de te rre cui te de Quaran te ou Musée de Montpellier) (fig .
3) , directement issue d'un prototype hellénistique de 10 Gronde
Grèce et de l'Etrurie, à ['époque romaine.
L'amitié de M. Alejandro Romos Folqués, l'heureux fouilleur
de "Alcudio d'Elche, m'opprend que le Levant ibérique, si influencé par les apports de [a Gronde Grèce, a égolement connu le type
de ['Artémis potnio hippôn, qui a la même voleur religieuse que
10 dompteuse de lions. A vrai dire 10 figure d'Artém is ailée, le vi sage de profil, 10 robe s tylisée en forme de cloche, entourée de
ri nceaux e t de rosaces, était un des motifs favoris de 10 céramique
d'Elche, sons que l'on pût identi fier ce génie ai lé, sons bras ni
Fig. 4.-- A. témis a ilée domPl eY!;e de chevaux SUr un vose
d' Elche till - II s. av. J . C. I. (D'aprH photo de M. A. Ro mas Fa lqués ).
attr ibu ts (17), ou t enant parfois deux palmes. Le nouve l exemplaire récemment reconstitué par M. Ramas Folqués, représen te
la même divinité, ai lée, le visage non plus de profil mois de face,
et é tendant les deux bras vers le museau de deux chevaux, dressés
sur leurs pottes postérieu res, dont n'est figurée que la protomé,
visiblement inspirée par un modèle gréco-ital ique (fig . 4) .
L'iden tification de cette Artémis ibérique présente un grand
in té rêt par l'archaïsme, c'est -a -dire le re tordeme nt de son modèle.
(11) A. RAMOS FOLQUES: " Problemos de cer6mico", Cr6nica deI Il ConQreso Arqueol6gl ca dei Sudeste Espoiial (Albac ete, 1946 ). Cortage no, 1941, p ,
295 ct pl. XXVIII, 4; cl A. GARCIA BELLI DO: "El Arle lbérico", "Ars Hispo nloc", l, Madrid, 1941, fig, 316.
_216_
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CHI
WAUX DU LEVA NT IBER IQUE
7
Tout asiat ique par sa fonction de dompteuse d'an imaux sauvages,
sur le type de terres-cuites de Lato en Crète (fig. 5), d'ivoires de
Sparte, ou de s tèles étrusco-vi llanoviennes du Musée de Bologne,
elle est encore associée à l'élément animal, qu'elle asservit mois
Fig. S._ Le domp teur oîlê en tre deux chevaux (terre_cul te
de Lota, en Crê te, Vie. siècle).
dant elle ne se seri pas; le cheval n'a ·pas encore adopté l'attitude
fa milière de la monture de Diane ou d' Epona n i cel le des chevaux
domes tiqués de la stèle du Ll ano de la Cansalaci6n, qu i montre la
t ransforma tion de l'an ima l en un attribut de la déesse ou du dieu .
A l'ou Ire extrémité du monde méditerranéen, dons le sanctua ire de Berne, riche de s ta tue ttes du Pan théon romai n, c'es t une
tra nsformati on aussi radi cale qu'a subie Artémi s, assimilée à la
deo Artio (la déesse-oursc) (1 8), offrant une corbei lle de fr ui ts à
un anima l sauvage, l'ours, emprun té à la faune loca le, qui s'avan ·
ce fa mil ièremen t vers la dompteuse assise sur son trône.
(18) Voir sur les rapports linguis tÎques d'Artémi s et d'Artia les hypO thèses
de V. PISAN I: "HeUeno Keltika" , Revue d' Etudes anciennes, XXXVI I, 1935,
p. 148; e t de M. SANCHEZ RUIPEREZ: "El oombre de A,ternis, doria- ili,ia: Elimologia v expansiOn. Es ludio combinodo de lenguo y religiOn" . Emérita, XV.
Madrid, 1941, pp. 1-60, et " Lo Dea A. lio cella V 10 A.ternis grit90. Un aspec to
relig ioso de la afinidad cello·iliria", Zephyrus, Il , 2, Solomonco, 195 1, pp. 8 9 .
95.
_2 11 _
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F. BENOIT
Or, à Elche, cette évolution s' inscrit dons des limites de temps
étroites, la céramique zoomorphe ne remontant pas au delà du
Ille· 1le siècle av. J. C, e t 10 stèle du Llano de la Consolaci6n à
la fin de 10 République.
Une te lle évolution de ce motif archaïque révèle 10 profondeur
du couront d'occidentalisation qui recouvr it les vieux fonds étrusco-grèce-puniques de 10 côte ibérique, à la suite de la conquête romaine. Mai s il est peu vraisemblable que 1 transformation mor0
phologique ait ottein t ['essence même de 1 voleur religieuse de la
0
grande déesse, maîtresse de 10 vie e t de 10 mort e t protectrice du
défun t , ou de son porèdre.
L'histoire du motif ibérique, si clairement lisible dons les documents figurés, n'est-ell e pas de nature à montrer la complexité
tu type de l'écuyére Epona, bannassement assise sur sa monture,
qui ne représente que l'aboutissement d'images diverses, parmi lesquelles il fout sons doute compter celle de la dompteuse de chevaux?
-218_
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:
LAM. 1.
BENOIT.- Clle you
2
4
3
I .- Amour 0 chevo l; terre_cui te de C.,..ênoïQue (Musêe Borely_6203).
e
2.-Ex-voto de Terre-cui T du Sanc tuaire de Colès IColvil en Campani e. ICol. du
Marquis de Salomonque ou M. A. N . de Modrid -SOI 2) .
3.-Cheval de T
erre-cu iT provenan T d' une Tambe d es AliscampS ô Arl es, Ill e siècle
e
(Musêe 60.ely-2153) .
" ._ Chevol de Med mo (Reggio d e (glgb. ig).
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FERNAND BENOIT
(frm,de )
Chevaux du Levant Ibérique. Celtis.me ou
l''\éditerranéis.me?
La découverte ou Cigarrolejo (l). près de Murcio, d'un sanctuaire comprenan t plus d'une centoine de petits "ex-vo to" représentan t des chevaux, nus ou hornachés, parfois accompagnés d'un
poulain, pose le double prablèm~ de la recherche du prototype et
de leur destination religieuse. Nous ne prétendons pas dons cette
cour te note, présen ter d'affi rma tion définitive sur la signif ication
relig ieuse de " o ffrande d'équ idè::, qui est polyvalente, comme tou tes les ofrandes, et se reli e au plus ancien fo lklore indo-européen;
mois seulement mettre en garde contre le danger de réduire le
champ de compa raison à l'aire présumée celtique et attirer ,'attention sur l' histoi re e t l'évol u tion d'une figure.
Les découvertes ibériques de s tatue ttes d'équidés et de s tèles
du dompteur de c;heyoux proviennent en eff et des contrées médite rranéennes, situées hors de la Cel t ibérie et en relations étroites
ovec la Gronde Grèce et Rome, et sont datées de la fin de l'époque
républicaine, ce qui infirme radicalement, dans le temps et dans
l'espace, l'hypothèse imprudemment alléguée d'une influence cel-
f') E. CUADRADO DIAZ; "beavo(Îan~ en el '>ontuorio lbérico deI Cioorroleio {Muta_Murdo)", Informes V Memocios de la Comjsorio Generol de beovoc;ones Arqueol6gico~, num. 11; Madrid, 1950.
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tique, à propos des chevaux du Cigorra lejo (2). Au moi ns, la com·
paraison avec les équ idés d'Assche- Kolkoven, en Brabant, que j'ai
s ignalée en 1949 à M. Cuodrado Diaz, sans prevoir les déduc tions
qui en seraient tirées, Qura- t -eHe eu l'avantage de foire dresser
l'inven ta ire de figurines analogues trouvées dans les fovissae de
sanctuaires belges (3) .
Ce n'est pas vers les pays hyperboréens qu'il fout se tourner,
mais vers la Gronde Grèce, pour tenter de rechercher des points
de comparaison, à la fois plastiques et religieux (4) , Les sépultu res et les riches dépôts des sanctuaires de la Lucanie, de l'Apulie,
de la Daunie, du Brutt ium, de la Campanie, nous on t foit connaître
un grand nombre de figurines d'équi dés, en terre-cuite, d'époqlJC
grecque et romai ne, représentan t des chevaux nus ou bridés, portan t porfois en croupe un enfant nu (pl. l, 1) ou 'a figure sym boli que d' Horus-Harpocrate. La ressemblance des chevaux du dépôt des
COVQlucci à Medmo (Rosarno) (5) (pl. l, 4), colonie de Lacres, de
Lucer io (6). de Colès (Calvi) (7) (pl. 1,2), d'Ariès (provenan t d'une
tombe) (pl. l, 3). avec ceux du Cigorrolejo, en pierre, es t d'autant
pl us frapponte que ,'an imal es t t roité sons gronde finesse, l'en t redeux jambes non a jouré, moi s plein .
Ces sanc tuaires son t en relation avec le cu lte de Déméter e l
de Perséphone, qui est dominant à l'époque hell énist ique dons l'I ta lie du sud, à Lacres, à Tarente, à Lucerio; l'offrande du cheva l y
est souvent associée à celle du porc (Luceria, Calès), l'offrande par
excellence de 1 lus tration e t l'animal consacré à Déméter (8) . Le
0
problème de la destination de ces figurines est loin d'êt re résolu, en
(2) S. J . DE LAET : "Surv;vQnces du culte d'EpI)na dons le folk IOle bf(lbon _
ÇQn" , LQlomuS, X, 1951, p. 178; cf. IQ cr; lique de M. RENARD: Ibid. p. 186.
num. 2.
(3) J. MERTENS: "Terres-cui les de l'êpoque ran'Qine trQuvées 0 Elewiil
(Brooo nt)", LO lamus, X, 1951, P . 111 et pl. IX el X.
(4) Ainsi que l'a mis pour la premi~re fois en lumière A. GARCIA BELLI _
DO: "Contactas '1 relociones en tre la Magna GreciQ '1 1Q Pen;n~lo lbérico, segu n
la Arqueologio '1 los lex los clasicos" , Madrid, 1935.
(S) P. ORSI: "Lacri", Nalizie degU Scovi, XIV, 1911 , p. 64. LI!$ hypo_
lhêses de l'aultur sur la signif ication de ces "elC-voto", soi l-di50S0n t en rappor t
OVe(; les Dioscures de Locres, 50nl infirmees par les dêmons trolions de S. FERRI,
daru "Bolletino d'Arte", 1921, p . 113, et "DivinilO ignole", 1929, p. 93.
(61 R. BA RTOCCI NI : "Arle e religi one neUo stipe votiva di Lucero", dons
Japig ia, Rivis lo pugliese di Archeologio, Slorio e Arle, X I, 1940, fig . 5.
n) COlleclion du Marquis de Salamanque, ou Musée Archeologique National de Madrid .
(8) P. AMANDRY: "Eschyle e t la purifiCalian d'Oreste", Revue Archéolo_
gique, XI, 1938, p. 23.
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raison de leur polyvalence: les mêmes s tatuettes se trouven t dons
les tombes et dans les temples, ainsi que l'ont noté Ch. Picard (9)
pour le monde grec, et pour le monde gallo-romain E. Linckenheld,
qui a constaté la fr équence des statue ttes dans les sépultures ( 10) .
Mais, en outre, la vo leur funérai re d'un ex-voto n'es t pas exclusive·
'--- ------ -- --
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Fig. I.-lo "dompteuse de chcvoul<", de Plovdiy IB..,lj)Orie du Sud} .
IG.
n.)
ment attachée à la sépul ture, comme le suppo'ie un paralOg isme de S.
J. de Lae t ( 11). Nous nous con ten terons de no ter qu'en Gronde Grèce (12), comme en pays he llénique et en Goul e, des sta tue ttes de
chevaux on t é té trouvées dons les tombes, et que les foy issoe du
sanctuai re de Lacres, consacré ou culte de Perséphone, renfermaient
19) CH. PICARD: "Notes d'archéologie grecque", Reyue des Etudes anciennes, XXX II, 1930, p. 100, n. 2.
( 10) E. Ll NCKEN HELD: "Figurines en terre-cul III", Revue des Eludes anciennes, XXX I, 1929, p. 162 el 5.
Pli S. J. DE LAET: Op. cil . en note 2, p. 177, n. 2.
(12) Tombe des Crkhi ou Mmée de Colon
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des tablettes de terre-cuite se rappor tant 6 la vie d'Ou t re-Tombe
e t ou jugemen t d'Hadès (13).
Tout aussi complexe est l'in t erprétation des stèles ibériques
associant deux ou plusieu rs chevaux à un personnage môle : représenté de face, debout dons les exemples les plus archaïques, il fait
un geste de protection vis-à-vis de deux équidés dressés su r leurs
pottes postérieures, les deux pattes an té rieures ployées devan t le
dompteur de chevaux (stèles de Sogunto ou Musée de Valencia, de
Fig. Z.-Le "maître des ,hevaux" sur une fibule ooolienne du Musée du Louvre
(V i lle $.) (d'apres J . Ckorbonneaux, dons Préhistoire, l, 1932, fig. 1).
Villocarrillo, d'Alcay et avec variante de Villoricas ou Musée de
Barcelone); ou bien il est assis sur un escabeau, étendant ses deux
bras au dessus de deux groupes de chevaux superposés, figurés
dons leur pose normale. (Llano de la Consolaciôn ou Musée de
Murcia) (14).
Le second type, plus localisé, marque une évolution du premier, demeuré plus près de son origine orien tal e, e t se ropproche
de la représen tation d' Epono, entourée d'une cour de chevoux
La différence des deux images est frappan te; e t cette dissemblance a surpris P. Lombrechts, qui prétend naïvemen t opposer [0
fomiliorité de l'Epona, présumée d'origine cel tique, donnant à
manger oux chevoux, et le caractère farouche, tout asiatique, de
(13) Q. QUAGUATI: "Riliev; vot;vi oreoici in terra colfa di Locri Epizephy_
rioi", Ausonio, III, 1900, p. 136; P. ZANCANI MONTUORO: "La Perséphone
di Toronto", Soclet'" Magna Grecio, V, 1931, p. 167; elc .
. (14) le renvoie â mes é tudes an térieures: "La Epona de Alcay", dons Cfa,?'CO dei VI Congreso Arqueol6gico dei Sudeste Esponol (Alcoy, 1950), p. 211;
Les mythes de l'Dotre- Tombe. le Cavelier â l'Anguipède et l'écuyère Epono"
Bruxelles, Collection Lotomus, III, 1950, p. 40.
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la potnio t hé,ôn (dompteuse de fauves) méditerranéenne, " maîtrisan t et étranglant (?) des lions, des panthéres et même des che vaux" ( 15) .
L'évolut ion ibérique d'un type à l'au tre s'est faite sur place et
1 transformo t ion de caractère de l'Artémis-Dione, molgré le pseu0
do-archaïsme du prototype, n'a rien qui doive nous étonner dans
Fig. 3._Antéfixe de terre cuite de Quaran te (1er. s. )
(M usée de Montpellier).
J'histoire des religions antiques, pas plus que le changement de
sexe de la potnÎo hippôn (dompteuse de chevaux) en son parèdre
dompteur de chevou x, dépaurvu d'ailes (fig 1 et 2) .
La figure d'Artémis potnio thé,ôn, saisissant par la potte d'eux
lions dressés à ses cô tés, n'était pas inconnue de la Bétique, ainsi
que le montre une a ntéfixe d'Itolica (1 6 ), ni de la Narbonnaise
(IS)
P. LAMBRECHTS: "Divinités êquestres ou défunts
~ro;sé"",
L'Ant i_
quité classique, XX, 1951, p. 123.
(16) A. LAUMON IER, dons "Revue d'Etudes anciennes", XXI II, 1921 , p.
273; publié por F. BENOIT: " La EpOnO de Alcay", p. 220, fig . 1. On (OI'I19Orero
l'ornemen t de bronze tl'Ol.lYé à Elche, repr~ntant deux fCMIVes offronlis: P. PA_
RIS: " Essai sur l' A, . et l' Industr ie de l'Espagne primllive", Poris, 1903, l, fig. 19.
_ 215 _
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6
F. IU:NQIT
(an té fix e de te rre cui te de Quaran te ou Musée de Montpellier) (fig .
3) , directement issue d'un prototype hellénistique de 10 Gronde
Grèce et de l'Etrurie, à ['époque romaine.
L'amitié de M. Alejandro Romos Folqués, l'heureux fouilleur
de "Alcudio d'Elche, m'opprend que le Levant ibérique, si influencé par les apports de [a Gronde Grèce, a égolement connu le type
de ['Artémis potnio hippôn, qui a la même voleur religieuse que
10 dompteuse de lions. A vrai dire 10 figure d'Artém is ailée, le vi sage de profil, 10 robe s tylisée en forme de cloche, entourée de
ri nceaux e t de rosaces, était un des motifs favoris de 10 céramique
d'Elche, sons que l'on pût identi fier ce génie ai lé, sons bras ni
Fig. 4.-- A. témis a ilée domPl eY!;e de chevaux SUr un vose
d' Elche till - II s. av. J . C. I. (D'aprH photo de M. A. Ro mas Fa lqués ).
attr ibu ts (17), ou t enant parfois deux palmes. Le nouve l exemplaire récemment reconstitué par M. Ramas Folqués, représen te
la même divinité, ai lée, le visage non plus de profil mois de face,
et é tendant les deux bras vers le museau de deux chevaux, dressés
sur leurs pottes postérieu res, dont n'est figurée que la protomé,
visiblement inspirée par un modèle gréco-ital ique (fig . 4) .
L'iden tification de cette Artémis ibérique présente un grand
in té rêt par l'archaïsme, c'est -a -dire le re tordeme nt de son modèle.
(11) A. RAMOS FOLQUES: " Problemos de cer6mico", Cr6nica deI Il ConQreso Arqueol6gl ca dei Sudeste Espoiial (Albac ete, 1946 ). Cortage no, 1941, p ,
295 ct pl. XXVIII, 4; cl A. GARCIA BELLI DO: "El Arle lbérico", "Ars Hispo nloc", l, Madrid, 1941, fig, 316.
_216_
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CHI
WAUX DU LEVA NT IBER IQUE
7
Tout asiat ique par sa fonction de dompteuse d'an imaux sauvages,
sur le type de terres-cuites de Lato en Crète (fig. 5), d'ivoires de
Sparte, ou de s tèles étrusco-vi llanoviennes du Musée de Bologne,
elle est encore associée à l'élément animal, qu'elle asservit mois
Fig. S._ Le domp teur oîlê en tre deux chevaux (terre_cul te
de Lota, en Crê te, Vie. siècle).
dant elle ne se seri pas; le cheval n'a ·pas encore adopté l'attitude
fa milière de la monture de Diane ou d' Epona n i cel le des chevaux
domes tiqués de la stèle du Ll ano de la Cansalaci6n, qu i montre la
t ransforma tion de l'an ima l en un attribut de la déesse ou du dieu .
A l'ou Ire extrémité du monde méditerranéen, dons le sanctua ire de Berne, riche de s ta tue ttes du Pan théon romai n, c'es t une
tra nsformati on aussi radi cale qu'a subie Artémi s, assimilée à la
deo Artio (la déesse-oursc) (1 8), offrant une corbei lle de fr ui ts à
un anima l sauvage, l'ours, emprun té à la faune loca le, qui s'avan ·
ce fa mil ièremen t vers la dompteuse assise sur son trône.
(18) Voir sur les rapports linguis tÎques d'Artémi s et d'Artia les hypO thèses
de V. PISAN I: "HeUeno Keltika" , Revue d' Etudes anciennes, XXXVI I, 1935,
p. 148; e t de M. SANCHEZ RUIPEREZ: "El oombre de A,ternis, doria- ili,ia: Elimologia v expansiOn. Es ludio combinodo de lenguo y religiOn" . Emérita, XV.
Madrid, 1941, pp. 1-60, et " Lo Dea A. lio cella V 10 A.ternis grit90. Un aspec to
relig ioso de la afinidad cello·iliria", Zephyrus, Il , 2, Solomonco, 195 1, pp. 8 9 .
95.
_2 11 _
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8
F. BENOIT
Or, à Elche, cette évolution s' inscrit dons des limites de temps
étroites, la céramique zoomorphe ne remontant pas au delà du
Ille· 1le siècle av. J. C, e t 10 stèle du Llano de la Consolaci6n à
la fin de 10 République.
Une te lle évolution de ce motif archaïque révèle 10 profondeur
du couront d'occidentalisation qui recouvr it les vieux fonds étrusco-grèce-puniques de 10 côte ibérique, à la suite de la conquête romaine. Mai s il est peu vraisemblable que 1 transformation mor0
phologique ait ottein t ['essence même de 1 voleur religieuse de la
0
grande déesse, maîtresse de 10 vie e t de 10 mort e t protectrice du
défun t , ou de son porèdre.
L'histoire du motif ibérique, si clairement lisible dons les documents figurés, n'est-ell e pas de nature à montrer la complexité
tu type de l'écuyére Epona, bannassement assise sur sa monture,
qui ne représente que l'aboutissement d'images diverses, parmi lesquelles il fout sons doute compter celle de la dompteuse de chevaux?
-218_
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:
LAM. 1.
BENOIT.- Clle you
2
4
3
I .- Amour 0 chevo l; terre_cui te de C.,..ênoïQue (Musêe Borely_6203).
e
2.-Ex-voto de Terre-cui T du Sanc tuaire de Colès IColvil en Campani e. ICol. du
Marquis de Salomonque ou M. A. N . de Modrid -SOI 2) .
3.-Cheval de T
erre-cu iT provenan T d' une Tambe d es AliscampS ô Arl es, Ill e siècle
e
(Musêe 60.ely-2153) .
" ._ Chevol de Med mo (Reggio d e (glgb. ig).
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