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FERNAND BENOIT
(France)
La "Dama de Elche" aux pavots
M. Romos Forques a publié un fragment de statue en calco ire,
représentant le côté droi t d'un buste féminin, ayant to mai n appuyée sur le genou . Elle est vêtue d'une tunique et d'un man teau
soigneusement dessines, d'où sort une mo in longue, effilée, tenont
entre le pouce e t l' index une tige term inee por trois capsules (fig. 1)
(1) . Les plis anguleux de la draperie rappellent ceux d e 10 " Grande
PI,. 1. . P'rallment de statue ae la «dame d'Elche. aux pavots
Dome" du Cerro de los Sontos (Albacet e), tenant en tre les moins
un gobelet, le "vose d'immorta lité". Le cou é toit orné d'un collie r
à mai lles de mé tal, en forme de boudin~ assez semblable par sa
(1) AlEJANDRO RAMOS FOLQUES : " MI,IKO Munklpal d. Ekhe (A tlton te).
Memor ia corrnPQndlent. a los. ai'la$ 1949-50", Memoria$ de 10$ MU$eos Alqveo6glcO$ Provincialts, 1950-51 (Ex lroclO$I , vol. XI-XII, Modrid, 1953, pag. 117
1
tt fig. 96, 2 .
AlEJANDRO RAMOS FOLQUES: "HaUaz:gos ncult6ricO$ en lo Alcudia dt
Elc!'le", Archlvo E~nol de Alqueologia, T. XX III , Madrid, 1950, pao. 355
fi gure 5 .
ei
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2
F. BENOIT
technique ou collier ou t.orques d~ s guerriers heroïsés d'Entremont;
à ce collier sont suspendus des pendentifs en forme de plaques fj ·
ligronées, analogues aux bijoux ibéro-.pun iques de la " Doma de Elche "; elle a le poignet ceint d' un bracelet en forme de spi rale .
Romas Folqués 0 jus tement rapproché J' attitude de celte déesse,
de celle du p ersonnage assis, sons doute un homme, de Verdolay
provenant de la nécropole du Cobecico dei Tesoro (Santa Coto lina
d ei Monte) ou musée de Murci e (2) , dont la coi ffure retenue par
un bandeau est inspirée d 'un original grec du Vème siècle. Le bas
du corps, en partie conservé, de cette s tatue montre qu 'elle éta it
assise sur un fauteuil, le bus te légèrement penché en arrière dons
l'a ttitude des "déesses-mères" hièratiques de l'art archaïque (fi gure 2) .
Femme ou déesse? Sons doute la d i.... in ité protectrice, subst itu t
du défunt, selon une ossimi lat ion générale dons les relig ions méditerranéennes.
L'ottribut qu'elle t ie nt en moins montre e!'l effet sa relation
avec le monde de l'Au -delà, le pavot, papaver somniferum, étant
l' emb lème de Perséphone et du Sommeil é ternel :
Per tenebras portot medicoto papave ra ... oculisque quie- em
t
inrorat (Silius Ital icus, X, 351) (3) .
La triplici té du povat, dont les capsules se détachent de 10 ti ge, est connue de l'art grec dès l' époque sub-mycénienne : le diadème de la déesse de Gazi, en Crète, est orné de t rois capsules de
pa....ots. C'est le pavot aux ·trois ca psu les d étachées de la t ige, qu i
est aux mo ins ou fle urit la couronne d' Hypnos, le génie du Som me il éternel , dons des s tatue~tes de bro nze et des bas-re liefs (41
(2) ANTONI O GARCI A Y. BELLIOO: " Art e, gri~ provi ncial. La ' Igura sedent e de Verdolay (Mu rdo)" , Archivo Espena l de Arqueolagio, T. XIV, Madrid,
1940-'1 l , pag. 350, et fig. l, A et B.
GRATINIANO NIETO GALLO: "La necr6po1ls hisçO nico dei Cabecica dei T, sora, Verdalay (Murcia )", Cronica dei III Congre50 ArqueoJ6glca dei Sudeste Es_
panai (Murcia, 1947), Car tagena, 1948, pag. 178 et pl. XXX .
(3 ) JOLlES: " Hypnas", articl e ln Real Encyclapadie de PAUlY-WISSOWA,
T. XI . 1 (19 1'1), c. 323-329.
(4 ) SALOMON REINACH : " Ant iquites Nalionolf!1;. DescriptiOn raison"', du
Musée de $olnl_Germa in_ en_loye. Bran1tes figures de la Ga ule romaine", Paris,
1894, pDg . 105 (Besançon).
V. "Revue Archeologique", Paris, 1882, l, pog. 8 et pl. Il (Etaplf!1; ).
ESPERANOIEU: "" Récueil oenê! rol df!1; bas-relie' s, sta tutS et bustf!1; de la
Goule romaine", T. IX, Paris, 1907-28, nûm. 6.590 (Xa ntenl.
SALOMON RE INACH: " Répertoi re de la staluaire grecque et romai n''', Paris, 1908- 20, vol. Il , pag. 48 1, 6 (Marseille ).
.
J . A. HILO: "Somnu s" , article in " Dictionnaire des Ant iquités Grecques el
Roma ines" , de Ch. DAREM8ERG et E. SAGLIO, T. IV, 20Nne partie, Paris, s.f., pa ge 1.196 el flgs. 6.5 17 et 6.519.
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LA "DAMA DE ELCHE" AUX PAVOTS
,
Fig. 2. _ Sta~ue funeraire de Verdolay (Murcie)
ou qui es t l'attribut des gisan ts endormis des monuments sépul ·
croux des Musées du Capitole et du Letran (5) . A Arles, la queue
d'aronde du cartouche de la tombe de Chrysogone (6) ' semble porter, en place de la feuille de lierre, des fleurs de pavots.
Ne son t-cè point également des capsules de pavots, décorés de
cercles concentriques en relief, . à la base, que représentent les
boules surmontées du Pégase, qui ferment le diadéme d'or ou ser(5) FR. CUMONT: "ij.echerches sur le symbolisme funéraire de$ Ramol ns",
Paris, 1952, pl . . XLI , 4 et fig. 79; d. pl. XXiii , 2 (Sarcophage de Dio~ et Endym iOtl) .
(6) ESPERANDIEU, op. ci t . in noi e 4, T. l, Po,is, 1907 , """'. 182 .
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4
F. BENOIT
re-tête d'origine hellénique de la princesse de Vix, trouvé dons la
riche sépulture hallstattienne du Mont Lassais, oinsi que l'a judi cieusement montré Ch. Picard? (7)
La fleur de pavot a donc à Elche, comme à Vix, une voleur 01 légorique qui éclaire la significa t ion de ce groupe de stotues de
gronde toille auquel appartien t l'exemplaire en meilleur état de
conservation de Verdolay. Elles nous montrent l'importance de la
religion d'Outre-tombe dans les sanctuaires ibériques du Levant
espagnol à la tin de la république, si proches par leur "culte du
héros" de ceux d'Entremont et de Roquepertuse, dons le midi de
la Gaule.
Mois elles diffèrent profondémen t de ce lles-ci pOr leur ottitu de assise, qui évoque celle des "statues cinéraires" étrusques de
Chiusi, et par la somptuosi té de leurs parures, qui révèlent l'orien talisme d'influences puniques et fait ,contraste avec l'austérité
guerrière des héros d'Entremont dont la pose accroupie est carac téri stique du midi de la Gaule.
La présence de ce motif allégorique à Elche, l'un des points de
la côte du Levant ibérique où se fait le plus sentir l'influence hallénique par l' intermédiaire de ta Gronde Grèce, dans la statuaire
comme dans la décoration des vases peints, n'est-elle pas un nou veau document de nature à montrer l'importance du courant de
l'héll enisotion dans la péninsule ibérique, qui fait la syntlièse, à
l'époque hellénistique, de la Méditerranée gréco-itol ique? (8).
(7) CH. PICARD: "Le diodo!me d'Of de Vix: povots et Pégases", RlWUe Ar c;néologlque, T. XLV, 1, Por ;~, 1955, pog. 49.
(8) FERNAND 8ENOIT: "Le probléme de l'I nfluence de 10 Gréc;e o rc;hoique
.n Wd lt ••• a"'. occide ntal • •t la sta t .... i •• d' Ent • .monl", AIti d ei 1 Cono.H i«>
InT ernozionale dl Preistorlo e Protoistorio Me-dite'roneo, Flrenu , .1950, pog . 430.
Cf. " Lo Domo de Elc he y los estupefocienles", Volenclo At roc;c;iôn, Volumen
XXVIII , n\un. 226, Volencio, noviembre de 1953.
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La "Dama de Elche" aux pavots
M. Romos Forques a publié un fragment de statue en calco ire,
représentant le côté droi t d'un buste féminin, ayant to mai n appuyée sur le genou . Elle est vêtue d'une tunique et d'un man teau
soigneusement dessines, d'où sort une mo in longue, effilée, tenont
entre le pouce e t l' index une tige term inee por trois capsules (fig. 1)
(1) . Les plis anguleux de la draperie rappellent ceux d e 10 " Grande
PI,. 1. . P'rallment de statue ae la «dame d'Elche. aux pavots
Dome" du Cerro de los Sontos (Albacet e), tenant en tre les moins
un gobelet, le "vose d'immorta lité". Le cou é toit orné d'un collie r
à mai lles de mé tal, en forme de boudin~ assez semblable par sa
(1) AlEJANDRO RAMOS FOLQUES : " MI,IKO Munklpal d. Ekhe (A tlton te).
Memor ia corrnPQndlent. a los. ai'la$ 1949-50", Memoria$ de 10$ MU$eos Alqveo6glcO$ Provincialts, 1950-51 (Ex lroclO$I , vol. XI-XII, Modrid, 1953, pag. 117
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tt fig. 96, 2 .
AlEJANDRO RAMOS FOLQUES: "HaUaz:gos ncult6ricO$ en lo Alcudia dt
Elc!'le", Archlvo E~nol de Alqueologia, T. XX III , Madrid, 1950, pao. 355
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technique ou collier ou t.orques d~ s guerriers heroïsés d'Entremont;
à ce collier sont suspendus des pendentifs en forme de plaques fj ·
ligronées, analogues aux bijoux ibéro-.pun iques de la " Doma de Elche "; elle a le poignet ceint d' un bracelet en forme de spi rale .
Romas Folqués 0 jus tement rapproché J' attitude de celte déesse,
de celle du p ersonnage assis, sons doute un homme, de Verdolay
provenant de la nécropole du Cobecico dei Tesoro (Santa Coto lina
d ei Monte) ou musée de Murci e (2) , dont la coi ffure retenue par
un bandeau est inspirée d 'un original grec du Vème siècle. Le bas
du corps, en partie conservé, de cette s tatue montre qu 'elle éta it
assise sur un fauteuil, le bus te légèrement penché en arrière dons
l'a ttitude des "déesses-mères" hièratiques de l'art archaïque (fi gure 2) .
Femme ou déesse? Sons doute la d i.... in ité protectrice, subst itu t
du défunt, selon une ossimi lat ion générale dons les relig ions méditerranéennes.
L'ottribut qu'elle t ie nt en moins montre e!'l effet sa relation
avec le monde de l'Au -delà, le pavot, papaver somniferum, étant
l' emb lème de Perséphone et du Sommeil é ternel :
Per tenebras portot medicoto papave ra ... oculisque quie- em
t
inrorat (Silius Ital icus, X, 351) (3) .
La triplici té du povat, dont les capsules se détachent de 10 ti ge, est connue de l'art grec dès l' époque sub-mycénienne : le diadème de la déesse de Gazi, en Crète, est orné de t rois capsules de
pa....ots. C'est le pavot aux ·trois ca psu les d étachées de la t ige, qu i
est aux mo ins ou fle urit la couronne d' Hypnos, le génie du Som me il éternel , dons des s tatue~tes de bro nze et des bas-re liefs (41
(2) ANTONI O GARCI A Y. BELLIOO: " Art e, gri~ provi ncial. La ' Igura sedent e de Verdolay (Mu rdo)" , Archivo Espena l de Arqueolagio, T. XIV, Madrid,
1940-'1 l , pag. 350, et fig. l, A et B.
GRATINIANO NIETO GALLO: "La necr6po1ls hisçO nico dei Cabecica dei T, sora, Verdalay (Murcia )", Cronica dei III Congre50 ArqueoJ6glca dei Sudeste Es_
panai (Murcia, 1947), Car tagena, 1948, pag. 178 et pl. XXX .
(3 ) JOLlES: " Hypnas", articl e ln Real Encyclapadie de PAUlY-WISSOWA,
T. XI . 1 (19 1'1), c. 323-329.
(4 ) SALOMON REINACH : " Ant iquites Nalionolf!1;. DescriptiOn raison"', du
Musée de $olnl_Germa in_ en_loye. Bran1tes figures de la Ga ule romaine", Paris,
1894, pDg . 105 (Besançon).
V. "Revue Archeologique", Paris, 1882, l, pog. 8 et pl. Il (Etaplf!1; ).
ESPERANOIEU: "" Récueil oenê! rol df!1; bas-relie' s, sta tutS et bustf!1; de la
Goule romaine", T. IX, Paris, 1907-28, nûm. 6.590 (Xa ntenl.
SALOMON RE INACH: " Répertoi re de la staluaire grecque et romai n''', Paris, 1908- 20, vol. Il , pag. 48 1, 6 (Marseille ).
.
J . A. HILO: "Somnu s" , article in " Dictionnaire des Ant iquités Grecques el
Roma ines" , de Ch. DAREM8ERG et E. SAGLIO, T. IV, 20Nne partie, Paris, s.f., pa ge 1.196 el flgs. 6.5 17 et 6.519.
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LA "DAMA DE ELCHE" AUX PAVOTS
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ou qui es t l'attribut des gisan ts endormis des monuments sépul ·
croux des Musées du Capitole et du Letran (5) . A Arles, la queue
d'aronde du cartouche de la tombe de Chrysogone (6) ' semble porter, en place de la feuille de lierre, des fleurs de pavots.
Ne son t-cè point également des capsules de pavots, décorés de
cercles concentriques en relief, . à la base, que représentent les
boules surmontées du Pégase, qui ferment le diadéme d'or ou ser(5) FR. CUMONT: "ij.echerches sur le symbolisme funéraire de$ Ramol ns",
Paris, 1952, pl . . XLI , 4 et fig. 79; d. pl. XXiii , 2 (Sarcophage de Dio~ et Endym iOtl) .
(6) ESPERANDIEU, op. ci t . in noi e 4, T. l, Po,is, 1907 , """'. 182 .
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riche sépulture hallstattienne du Mont Lassais, oinsi que l'a judi cieusement montré Ch. Picard? (7)
La fleur de pavot a donc à Elche, comme à Vix, une voleur 01 légorique qui éclaire la significa t ion de ce groupe de stotues de
gronde toille auquel appartien t l'exemplaire en meilleur état de
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religion d'Outre-tombe dans les sanctuaires ibériques du Levant
espagnol à la tin de la république, si proches par leur "culte du
héros" de ceux d'Entremont et de Roquepertuse, dons le midi de
la Gaule.
Mois elles diffèrent profondémen t de ce lles-ci pOr leur ottitu de assise, qui évoque celle des "statues cinéraires" étrusques de
Chiusi, et par la somptuosi té de leurs parures, qui révèlent l'orien talisme d'influences puniques et fait ,contraste avec l'austérité
guerrière des héros d'Entremont dont la pose accroupie est carac téri stique du midi de la Gaule.
La présence de ce motif allégorique à Elche, l'un des points de
la côte du Levant ibérique où se fait le plus sentir l'influence hallénique par l' intermédiaire de ta Gronde Grèce, dans la statuaire
comme dans la décoration des vases peints, n'est-elle pas un nou veau document de nature à montrer l'importance du courant de
l'héll enisotion dans la péninsule ibérique, qui fait la syntlièse, à
l'époque hellénistique, de la Méditerranée gréco-itol ique? (8).
(7) CH. PICARD: "Le diodo!me d'Of de Vix: povots et Pégases", RlWUe Ar c;néologlque, T. XLV, 1, Por ;~, 1955, pog. 49.
(8) FERNAND 8ENOIT: "Le probléme de l'I nfluence de 10 Gréc;e o rc;hoique
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InT ernozionale dl Preistorlo e Protoistorio Me-dite'roneo, Flrenu , .1950, pog . 430.
Cf. " Lo Domo de Elc he y los estupefocienles", Volenclo At roc;c;iôn, Volumen
XXVIII , n\un. 226, Volencio, noviembre de 1953.
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